Fred et Thérèse arrivent. C’est la fin de la matinée du dimanche. Fred frappe énergiquement à la porte d’entrée. Je le découvre rayonnant, illuminé d’un immense sourire. Thérèse, plus modérée. Temps d’arrêt, ils me regardent, leurs yeux s’étonnent de mon air surpris. Fred m’attrape par les épaules, fortement, et m’embrasse avec conviction. Il fait beau. Ce soleil, ce soleil sur cette neige ! C’est merveilleux. Comme elle brille ! On ne peut pas la regarder. On ne reconnaît plus rien. Nous ne retrouvions pas la maison. Il est très chaud, le soleil, nous pouvons manger dehors. Nous allons sortir la table du hangar, comme au printemps, ce sera le printemps au milieu de l’hiver, la table des beaux jours plantée dans la neige. Anachronique. Nous n’y comprendrons plus rien, nous ne saurons plus où nous sommes, quand. Oui, nous serons égarés dans l’hiver. Egarés dans le printemps ? Fred continue. L’arbre a des bourgeons, de petits bourgeons blancs, oui, tout juste éclos, en petites fleurs blanches comme la neige. Thérèse rit, il a raison Fred, c’est exceptionnel ce printemps. Ils sont toujours dehors, à l’entrée, je sors avec eux, je suis avec eux, au cœur de l’étrange printemps. Je suis tout de suite dans ce pays extraordinaire. Nous marchons sur une mousse pailletée, qui répond d’un chant cristallin à nos pas, nos yeux à moitié fermés, distinguent, de ci, de là, des ombres opalescentes, des voiles fantomatiques mouvants, la voie lactée du nouveau jour. Les mots s’espacent. Nos paroles blanches sèment leurs notes au gré du vent, et composent, folles musiciennes, la mélodie de l’autre monde. Je ne comprends plus ce que dit Fred. Il ne fait qu’émettre des sons. Mes yeux sont pratiquement fermés. Fred, Thérèse, sont enveloppés de vapeurs fluides, ils deviennent nuages, et se meuvent, à peine, en gestes arrondis et souples, sur le ventre étoilé des collines. Mes paupières tombent, l’air tiède roule dans mes cheveux, l’air tiède souffle délicatement autour de moi, dehors, dedans, me soulève, m’emporte. L’air chaud me balance, c’est délicieux, il me bouscule. Je m’abandonne à lui, il me porte, comme l’amant porte l’amante, je bascule, en douceur, l’air me pose amoureusement dans la neige. Des mains me prennent la taille, des mains envoûtantes soulèvent mon corps lourd, et l’emportent dans la maison. Le vent siffle quelques notes à mon oreille, et petit à petit, j’ouvre les yeux. La bouche de Fred, tout près, la bouche de Thérèse, juste à côté, un peu en retrait. Ce n’est rien, un vertige. Un autre monde. Le nouveau jour. Ils comprennent, Fred et Thérèse. Cette idée de manger dehors, superbe. |